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Introduction au projet

En septembre 2012 fut publié chez l’éditeur Citadelles et Mazenod un volume intitulé L’art de la bande dessinée, sous la direction de Pascal Ory, Laurent Martin et Sylvain Venayre. L’éditeur présentait l’importance de cette publication en ces termes :
 
« La bande dessinée fait son entrée dans la prestigieuse collection « L’Art et les Grandes Civilisations ». Longtemps relégué au rang mineur d’« illustré » pour la jeunesse, le genre qui, dès les années 1960, s’ouvrait largement au lectorat adulte (Pilote, Hara-Kiri...) a gagné sa légitimité bien au-delà des cercles bédéphiles pour désormais prétendre être cité dans les programmes scolaires et les tribunes universitaires. »

Ce point de vue appelle cependant d’importantes nuances, et Thierry Groensteen, l’un des meilleurs spécialistes de la bande dessinée, remarque ainsi :

« L’entrée de la bande dessinée dans la prestigieuse collection « L’art et les grandes civilisations » de Citadelles & Mazenod est unanimement perçue – et, ce qui est plus fort, décrite dans l’ouvrage lui-même – comme « un manifeste en faveur d’une légitimation qui a tardé à venir ou la preuve de l’achèvement de ce mouvement d’artification ». Mais, comme l’on voit, le propre de ce mouvement est justement qu’il semble ne jamais devoir s’achever. Parce que le terrain « gagné » sur tel front est « perdu » sur tel autre (ainsi les enseignements de la bande dessinée à la Sorbonne ou à l’EHESS ont-ils été supprimés avec le retrait de leur titulaire, et le média demeure globalement très absent du champ universitaire français). Et parce que tout ce qui arrive et qui associe la bande dessinée à une institution culturelle (musée, grand établissement national), à un lieu de prestige (Cerisy, Citadelles & Mazenod) ou même à une catégorie symboliquement forte (art, littérature) fait automatiquement symptôme, aujourd’hui comme hier. Bref, la question de la légitimité est comme le sparadrap du capitaine Haddock, on n’arrive pas à s’en débarrasser. Comme si la bande dessinée souffrait d’un déficit de légitimité intrinsèque, ontologique, irrattrapable – peut-être lié aux « handicaps symboliques » dont j’ai proposé l’analyse dans Un objet culturel non identifié. Au reste, la vraie mesure de la reconnaissance de la bande dessinée comme forme artistique pleinement légitime serait peut-être moins à chercher dans la place que lui réservent les institutions détentrices d’un capital symbolique et d’une autorité prescriptrice que dans le fait qu’une culture de la bande dessinée digne de ce nom (j’entends par là une connaissance de son histoire, de ses œuvres les plus marquantes, de ses processus créatifs, de la diversité de l’offre éditoriale) commencerait à être un peu plus largement partagée. »

Ce débat sur la question de la légitimité de la bande dessinée est une véritable arlésienne, qui fit couler beaucoup d’encre et qui continue, quoique de manière moins violente et polémique que dans les années 1970, à faire débat aujourd’hui comme le montre cet article de Thierry Groensteen.

La bande dessinée était-elle réservée aux enfants ? La bande dessinée était-elle nuisible pour l’éducation des enfants ? La bande dessinée était-elle de la littérature ? Toutes ces questions ne sont néanmoins plus au centre des préoccupations des chercheurs, et l’on s’accorde à dire que la bande dessinée n’est pas un genre littéraire, ou paralittéraire, mais un mode d’expression à part entière. Nous ne reviendrons donc pas sur ce débat dans le cadre de notre Laboratoire Junior. De même, notre volonté n’est pas de nous demander si la bande dessinée pourrait ou devrait avoir sa place dans l’Université et dans l’Enseignement en général, puisque, de facto, le neuvième art a déjà pris une place importante, et sans cesse croissante, dans le monde scolaire et universitaire et nous souhaitons réfléchir aux raisons et aux différentes formes de ce phénomène.

De nombreux travaux doctoraux en cours, dans des matières et des universités extrêmement différentes prennent ainsi la bande dessinée comme objet d’étude. Cela était déjà le cas de plusieurs thèses soutenues dès le début des années 1970, mais ce phénomène s’accélère aujourd’hui. Cette dynamique de la recherche contemporaine sur les rapports entre les sciences et le neuvième art se retrouve également dans la production scientifique consacrée à la question. Nous renvoyons ici à notre bibliographie qui, de manière significative, est composée dans sa majorité d’ouvrages ou d’articles extrêmement récents. Le nombre d’universitaires publiant sur la bande dessinée a ainsi connu une augmentation exponentielle ces dernières années et, en 1984 déjà, P. Massart annonçait :

« L’Université s’est mise à l’heure de la bande dessinée. Comme tout le monde ou presque. Disons, pour être exact : comme Monsieur Tout-le-Monde, cette figure érigée au point de convergence des traits représentatifs d’une culture donnée. C’est que la bande dessinée occupe désormais une position en vue dans notre système culturel ; elle est en passe de rejoindre les productions et les pratiques les mieux établies dans le cadre de référence que construit l’ensemble de nos paramètres et codes culturels, ce cadre de référence qui permet aux membres d’une même société de se reconnaître, de communiquer et finalement de mener une action (relativement) commune. » (Massart, Pierre, « Entre média et Littérature : la bande dessinée », in La bande dessinée à l’Université … et ailleurs, Louvain-la-Neuve, 1984, p. 7)

Cependant, si la recherche sur la bande dessinée est assez dynamique, elle reste mal organisée, selon Benoît Berthou, car « à l’heure actuelle, aucun laboratoire, ni même aucune équipe de recherche, ne se focalise sur la bande dessinée, ce qui est un véritable problème. Il y a un intérêt certain, mais pas de structures permettant de véritablement l’exploiter. ». Ces recherches se sont pour l’instant focalisées sur trois axes particuliers :

  • Un axe sémiotique. Pierre Fresnault-Deruelle fut l’un de ceux qui initia un mouvement très fécond s’intéressant aux particularités de ce médium spécifique et tentant de cerner tant la création que la réception du dispositif de communication qu’elle constitue. De nombreux travaux contemporains s’inscrivent dans la lignée de telles problématiques, comme ceux de Thierry Groensteen ou d’Harry Morgan.
  • Un axe historique. Annie Renonciat-Lallemand et Pascal Ory furent parmi les premiers historiens à s’intéresser à la bande dessinée et à son histoire.  
  • Un troisième axe, plus récent, s’intéresse à la bande dessinée comme élément d’une industrie culturelle. Cependant, comme le relève Benoît Berthou, cette approche est encore assez limitée : « Aucune recherche ne semble s’être pleinement consacrée aux interrogations portant sur l’influence des modes de production de la bande dessinée sur son processus de création. Les interrogations relevant d’une approche “socio-économique” sont ainsi directement issues de la profession, comme dans le cas de “Plates-Bandes” de Jean-Christophe Menu (L’Association, 2005) ou de “L’État de la bande dessinée. Vive la crise !” (Les Impressions Nouvelles, 2008), actes de la dernière université d’été de la bande dessinée organisée par la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image d’Angoulême. ». Ce troisième axe est donc celui auquel se consacrent les Carnets de la bande dessinée, carnet hypothèse fondé par Benoît Berthou et dont le but est que « nos institutions [reconnaissent] que la bande dessinée participe de la construction du savoir scientifique. Pour ma part, en tant qu’enseignant-chercheur, je m’inscris dans ce même effort : je serai satisfait lorsque l’on soutiendra dans notre pays au moins dix thèses par an (sur 1500 en Sciences Humaines) consacrées à la bande dessinée. ».
Au sein de notre Laboratoire Junior, nous discuterons et analyserons ces travaux déjà existants qui concernent, donc, avant tout les questions de sémiotique, d’énonciation et de narration, d’une part, d’histoire de la bande dessinée (et non d’histoire dans la bande dessinée) d’autre part, et d’étude des conditions d'existence et d'exercice de la bande dessinée enfin. Cependant, nous ne nous limiterons pas à ces champs déjà existants et nous tâcherons de proposer un questionnement nouveau, ce qui doit être le propre d’un Laboratoire Junior. Ce questionnement sera avant tout pluridisciplinaire et ne se limitera pas aux historiens et aux littéraires, mais entend s’ouvrir à toutes les sciences (sciences fondamentales comme sciences sociales, sciences de la nature comme sciences humaines). Nous pensons en effet qu’une approche pluridisciplinaire, mêlant sciences sociales, sciences humaines, sciences dites « dures » et études littéraires permettra d’apporter un nouvel éclairage tant sur les enjeux sémiotiques et culturels que sur les enjeux socio-économiques et pédagogiques liés à la bande dessinée.
 
Les spécificités de ce medium particulier qu’est la bande dessinée seront au centre de toutes nos réflexions. Ces réflexions s’articuleront autour de deux questions principales :
  • Comment la bande dessinée peut-elle être l’objet d’une étude scientifique ?
  • Comment la bande dessinée essaie-t-elle de construire un savoir scientifique ?

Nous aimerions faire dialoguer au sein de ce Laboratoire Junior des universitaires, des professeurs du secondaire, des étudiants et des auteurs de bande dessinée. En effet, il nous paraît important de ne pas se limiter à un discours théorique sur la bande dessinée, mais d’intégrer pleinement la pratique artistique dans ses aspects les plus concrets. Chacun des séminaires que nous organiserons accueillera au minimum un auteur de bande dessinée.
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